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Stand génie civil, le blog de feuzeu f simplice
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30 décembre 2021

Effondrement des bâtiments, pour que ça ne se repète plus…

L’année 2021 sera rangée dans l'histoire dans quelques heures. Elle aura a été marquée par de nombreux effondrements d’immeubles, en chantier et même déjà en service pour certains. Comme chaque année, depuis plus de dix ans, on assiste à ces sinistres avec impuissance, la presse en parle, les magistrats municipaux sensibilisent, les autorités administratives vont sur le terrain pour constater les dégâts, et sensibilisent davantage, les pompiers fouillent et sauvent ce qui peut encore l’être. Les propriétaires pleurent indiscutablement leur investissement, mais en silence. Puis, on tourne la page ; en attendant le prochain effondrement. En réalité, personne n’attend un autre drame. Sauf que ça finit par arriver. En effet, tout était calme depuis le 29 octobre 2020, où un immeuble s’était effondré à la Rue 2.518 à New Bell à Douala. L’année 2021 avait bien alors démarré, presque tout un semestre sans bruit de chute d’immeuble. Soudain, vint le 30 juin 2021, le tout dernier jour du semestre 1, où un immeuble de six étages, encore en chantier, s’effondre quartier Bonapriso, non loin du lieu-dit marché des fleurs, à Douala. Les évènements se sont enchainés. D’abord au quartier Logbessou, le 9 juillet, où une bâtisse R+3 partie à la renverse est stoppée dans sa trajectoire par sa jumelle sur laquelle la toiture du bâtiment en détresse finit par prendre appui. Ensuite, la chute d’un échafaudage suivra 5 jours plus tard en pleine zone commerciale d’Akwa. Il y en a eu d’autres de même nature. A Ndogbong (août) et au Camp Yabassi (septembre). L’on peut noter que tous ces édifices appartiennent aux personnes privées, physiques comme morales.  

C’est fort de ces tristes et répétitifs constats qu’à un moment, un Ingénieur, fût-il anonyme, doit se saisir de son clavier, non pour rédiger un rapport d’expertise, non pour effectuer une note de calcul, pas plus que pour dresser une fiche technique de chantier, mais pour apporter son observation et sa contribution en vue de stopper les dérives menant aux drames qui s’empilent depuis plus d’une décennie dans le champ professionnel qui est le sien. Celui de la construction. 

De l’origine des effondrements

Ne disposant pas les résultats d’enquêtes faites sur les précédents sinistres survenus sur les bâtiments, il est difficile de dresser les statistiques des causes réelles de chaque cas de catastrophe enregistrée. Mais, à chaque fois qu’un incident ou accident survient, l’inventaire des causes potentielles est vite établi : non respect des normes, mauvaise qualité des matériaux, main d’œuvre non qualifiée, défaut de permis de construire, dépassement du nombre d’étages prévus, etc. La disponibilité des rapports d’experts permettrait de savoir sur quels leviers actionner pour stopper le phénomène. Sans cela, seules l’observation et l’analyse des pratiques ayant cours pendant la mise en œuvre d’un projet de construction sont nos référentiels.

En remontant le temps, il est loisible de remarquer que jusqu’à la fin des années 1990, il était rare d’entendre parler d’effondrement d’immeuble dans nos cités. Même s’il faille reconnaitre que la nature des constructions n’était pas la même que celle de nos jours. En effet, depuis le début des années 2000, les bâtiments plain-pied, moins exigeant en matière de suivi, ont cédé du terrain aux immeubles R+n, n étant le nombre d’étages, dont le défaut de suivi des travaux entrainent des conséquences graves, voire irréversibles. De nos jours, chacun veut couler ou voir couler sa dalle. Coût du foncier ou mode ? Malheureusement, des promoteurs immobiliers et autres potentiels propriétaires d’immeubles ne prennent pas toujours la mesure de ce que, là où un tâcheron a été engagé hier comme conseil ou entrepreneur pour la construction d’un plain-pied, il faut aujourd’hui solliciter absolument l’expertise  d’un Ingénieur (ou tout autre professionnel de haut rang) pour la mise en œuvre des projets de bâtiment à plusieurs étages.

De la qualité du béton sur les chantiers

Parce la structure des bâtiments qui s’effondrent est faite de béton, il faut en parler. Matériau nouveau conçu pendant la première moitié du 19ème siècle par l’exploitant agricole Joseph Louis Lambot, le béton armé (qu’on appelait alors ciment armé ou fer ciment) est utilisé pour la première fois en 1849 par l’agriculteur en remplacement du bois jadis utilisé pour la fabrication des barques de son étang. Après une période d’hibernation, le matériau a connu un grand essor grâce au jardinier Joseph Monier qui l’utilisait pour la fabrication des bacs à fleurs à Paris. Son entrée et son développement dans le domaine de la construction ne devait plus tardé. C’est ainsi qu’à la fin du 19ème siècle, prenant le pas sur la pierre à bâtir et les briques en terre cuite autrefois utilisées l’édification des forteresses, des pyramides, et même de simples abris, il est devenu un matériau de référence grâce à sa facilité de fabrication et de mise en œuvre. Le premier enseignement de béton armé ayant été préparé et professé dans le monde à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées en 1897 par Charles Rabut. Aujourd’hui, plus de 120 ans après, les qualités d’un bon béton sont connus par tous les professionnels de par le monde.

Malheureusement, l'application des règles de l'art n'est pas la pratique la plus partagée par tous les maillons de la chaîne. Il est en effet établi que dans les chantiers, les conditions de fabrication et de mise en œuvre ne font l’objet de suivi scrupuleux. Une défaillance de suivi qui laisse présager des fissures. Et c’est ce qui arrive assez souvent. En effet, dans plusieurs chantiers, les impératifs de productivité lors des travaux de malaxage et de bétonnage rendent inaudibles les rappels à l’ordre en matière de qualité. Du coup, dans les chantiers de nos cités, dans le rythme effréné du coulage des dalles de plancher, il n’est pas rare de voir d’importants volumes de béton (50 sacs, voire plus)  fabriquées à même le sol, à la main d’homme et au moyen des pelles. Et de l’eau coulant à flot, sans contrôle. Le manœuvre a le pouvoir. Peut-on constater. Dans de telles conditions de fabrication, difficile que le béton obtenu respecte les exigences fixées. L’homogénéité et la consistance étant les principales propriétés du béton frais, le recours à une centrale à béton ou à une bétonnière devrait être de mise.     

Des missions de l’Ingénieur de génie civil

Dans un projet de construction de bâtiment, l’ingénieur de génie civil peut intervenir en qualité de maître d’œuvre ou en qualité d’entrepreneur. En tant que maître d’œuvre, il intervient aussi bien en phase d’études qu’en phase d’exécution. Deux spécialistes sont à mobiliser en matière de Maîtrise d’œuvre.

-          L’Ingénieur responsable des études de sol et des matériaux.

En phase d’études, il est celui qui mène des investigations sur la nature du sol de fondation, de la capacité de ce sol à supporter les charges en provenance du bâtiment à ériger. Il définit par ailleurs la profondeur des fondations vis-à-vis du niveau du terrain naturel. Il est responsable de la production du rapport d’étude de sol exigé dans le dossier de permis de construire.

En phase des travaux, il veille à la qualité des matériaux (notamment le béton) produits ou livrés sur le chantier pour la réalisation des ouvrages. Cette qualité doit être conforme à celle inscrite dans le cahier de charge. Il dispose à ce titre d’un certain nombre d’outils et d’équipements spécialisés pour effectuer les vérifications et tests.

-          L’Ingénieur responsable des études de structure.

En phase d’études, il mène les calculs relatifs à la solidité et à la stabilité du bâtiment. Il s’agit de l’expert qui dresse le tableau définissant les charges en provenance du bâtiment, les sections de béton, d’acier ou de bois des différents éléments (semelles, poteaux, poutres, dalles, escalier, charpente) de la structure du bâtiment. Le nombre et la position des aciers dans une masse de béton étant le résultat d’un calcul d’ingénierie et de l’application des dispositions dites constructives, l’Ingénieur responsable des études de structure est de ce fait, garant de la qualité et du respect des normes lors de l’élaboration des plans d’exécution des éléments en béton. Il est responsable de la production du document intitulé « note de calcul de structure » exigé dans le dossier de permis de bâtir.

En phase travaux, il veille à la conformité des réalisations effectives vis-à-vis des plans d’exécution (coffrage et ferraillage principalement) des ouvrages et de la charpente

L’Ingénieur – entrepreneur,

Il intervient en phase de construction, mais selon son expérience, peut apporter des observations sur les documents d’exécution. C’est l’entité à qui le promoteur ou l’initiateur d’un projet confie la réalisation des travaux de construction du bâtiment. Pour ce faire, il a pour mission : la mobilisation du matériel et du personnel appelé à travailler sur le chantier, les travaux préparatoires, des fondations à la toiture, y compris la préparation et le coulage des planchers intermédiaires. Il est aussi responsable de la qualité et de la sécurité des ouvrages provisoires érigés sur le chantier en vue des travaux,  les échafaudages notamment. En tant que professionnel averti, pour couvrir les dommages éventuels causés à ses clients ou aux tiers, il est appelé à souscrire une assurance de responsabilité professionnelle.

De la responsabilité des promoteurs

Rassembler les documents constitutifs du dossier du permis de construire ne suffit pas pour avoir une construction physiquement irréprochable ; comme payer à la municipalité les frais d’obtention de ce sésame ne suffit pas pour mettre le futur bâtiment à l’abri de dysfonctionnement structurel. Plus généralement, même si sa nécessité juridique est incontestable, remplir toutes les formalités administratives s’avère insuffisant pour donner à la construction envisagée toute la sécurité dont elle a besoin en phase construction ou en phase d’exploitation. Il revient aux promoteurs de mettre tout en œuvre pour faire respecter ou faire appliquer les indications techniques contenues dans les cahiers  de charges de son dossier de construction. Il s’agit de mobiliser la ressource intellectuelle pour assurer le suivi des travaux, conformément aux plans et aux pièces écrites de son projet. Des fondations à la toiture.  Le règlement régulier des honoraires du maître d’œuvre mobilisé pour le suivi de l’exécution, est également une responsabilité à laquelle les promoteurs devraient faire  face avec honneur, sans pression des intervenants extérieurs. Assumer cette dernière responsabilité  est gage d’un suivi permanent, du début à la fin des travaux.

De la sensibilisation du grand public et du contrôle des chantiers

Si les professionnels de la construction, en particulier ceux du bâtiment sont régulièrement sensibilisés sur les enjeux et défis de notre temps en matière de sécurité des investissements dans le domaine des infrastructures, à travers les journées techniques, séminaires et autres séances de formation continue que proposent différentes organisations professionnelles, le grand public, constitué des clients potentiels des services d’ingénierie, des promoteurs immobiliers ou des usagers ne sont pas toujours au fait du lieu d’obtention de la bonne information en matière de construction. A ce sujet, il faut reconnaitre que les toutes premières Journées de l’Urbanisme de Douala, récemment organisées à l’initiative du Maire de la ville, et ouvertes à tous, ont été une grande opportunité pour les usagers de s’entretenir  avec tous les experts de la chaine de la construction, regroupés un seul lieu.

 

Toutefois, pour plus d’efficacité sur le terrain, des actions fortes vis-à-vis de la cible directe, les promoteurs immobiliers en l’occurrence, doivent être prises par les organismes en charge de la délivrance des permis de construire. Jusqu’ici, les usagers dont la demande d’autorisation de construire reçoit l’avis favorable des services techniques de la municipalité, reçoivent la Décision Municipale leur accordant le Permis de Construire par simple décharge dans un registre. Sans  qu’il ne leur soit signifier de manière active, le sens prescriptions et obligations qui sont les leurs, aussi bien en matière de respect des normes d’urbanisme que vis-à-vis des acteurs (entrepreneurs, maître d’œuvre) qu’ils comptent engager pour conduire à bien les travaux envisagés. Les rapports entre promoteurs immobiliers (maîtres d’ouvrage) et techniciens étant souvent emprunts de suspicion, organiser une cérémonie de remise solennelle desdites Décisions peut donc renforcer la prise de conscience de ces acteurs.

Enfin, pour résolument empêcher les effondrements, l’instauration d’une Commission d’inspection des chantiers urbains en cours, serait salutaire. Celle-ci aurait pour mission de visiter les chantiers pour relever les écarts constatés (entre prévisions et réalisations) et les notifier au maître d’ouvrage pour prise de décision conséquente.

S’agissant des bâtiments déjà érigés, encore en travaux ou déjà en exploitation, et dont le risque de chute est perceptible à vue, les services techniques de la municipalité, comme déjà fait à Douala d’après une actualité récente, pourraient faire leur inventaire, analyser et évaluer la criticité de chacun, les notifier à chaque propriétaire afin celui-ci se réfère aux experts pour trouver les solutions idoines en vue de leur renforcement, ou leur déconstruction.  

 

"Prévenir vaut mieux que guérir", disent les professionnels de la santé. Que dire en plus pour conclure ce message? Pas vraiment grand-chose. Du moins, en 2021.

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