Ces édifices mal bâtis qui s’écroulent... continuellement au Cameroun
L’écroulement des bâtiments et autres ouvrages, principalement propriété de promoteurs privés, continuent de faire l’actualité au fil de ces dernières années. Pour la seule année 2019 qui vient de s’achever, pas moins de trois immeubles se sont effondrés au Cameroun. D’abord en juillet au quartier Nganguè à Douala un bâtiment de quatre étages s'est transformé en tas de gravats, puis en août au quartier Bonabéri-Sodico où un bâtiment R+2 abritant deux églises dites ‘’ de réveil’’ et une école primaire a vu un de ses pans s’effondrer, et le tout récent cas survenu le 20 décembre où c’était le tour d’un édifice R+3 de s’écrouler. Quatre corps sans vie retrouvés dans les décombres. Cette fois-ci à Yaoundé au quartier Nsimeyong.
L’on se rappelle également de la chute d’un mur de soutènement en octobre 2018 au quartier Ndogbong (où deux enfants ont trouvé la mort) à Douala ainsi que l’effondrement d’un immeuble R+4 dans la ville de Dschang en septembre 2017 ayant fait une quinzaine de morts. Les habitants de Douala n’ont pas oublié l’écroulement d’un autre bâtiment au quartier Ndogbati le 19 juin 2016 (5 morts dans les décombres) ou encore celui du quartier Nkongmondo en septembre 2015. Bien avant, c'est un immeuble qui s'est retrouvé soudainement par terre à la montée Elig-Essono à Yaoundé. C’est devenu une banalité de savoir qu’un immeuble s’est écroulé ici ou là, et on semble s’y accommoder. A tort.
S’il est vrai que l’inventaire physique des conséquences de ces drames est souvent rapidement établi -pertes en vie humaine, cas invalidité, blessés, investissement englouti, dégâts collatéraux, etc. - après la survenance de tels sinistres, il est cependant regrettable de constater qu’après différentes enquêtes annoncées et commises, les causes de ces catastrophes ne sont pas portées à la connaissance du grand public. Pourtant, il est évident qu’une intense communication sur l’origine détaillée des malfaçons ayant conduit au sinistre amènerait chacun des acteurs à rester vigilant et être continuellement sensibilisés sur les étapes procédurales à suivre en vue de la sécurisation de leur investissement et surtout de la vie des personnes devant intervenir dans leur projet de construction.
Dans différents articles disponibles sur internet et dans les journaux ayant relayé l’information liée à ces écroulements d’édifices, il est souvent fait allusion dans différents témoignages recueillis par la presse, avec raison, mais sans plus de précision, du non-respect des normes et de l’utilisation des mauvais matériaux de construction comme causes principales du désastre.
M’inspirant de ce qui est fait dans le domaine de l’aviation en cas de crash ou d’accident d’avion et régulièrement présenté dans une chaîne de télévision bien connue, l’objectif de ces propos est de partager les connaissances sur les erreurs et fautes qui peuvent être commises par certains acteurs de la chaîne de la construction, afin qu’elles ne soient plus reproduites.
Loin d’être un enseignement sur les sciences de l’ingénierie civile, ces écrits ont tout simplement vocation d’apporter des informations pour compléter la liste des causes probables de ces accidents, donner les détails sur leur manifestation et émettre des suggestions aux potentiels promoteurs immobiliers pour leur éviter les déboires et traumatismes que vivent les propriétaires de bâtiments écroulés. Néanmoins, des entrepreneurs, des chefs de chantiers ainsi que d’autres intervenants dans l’acte de construire peuvent trouver ici quelques pratiques à éviter ou adopter avant ou pendant l’exécution des travaux dont ils ont la charge.
Il n’est fait cas dans ces propos que des édifices dont le promoteur ait obtenu une autorisation de construire en bonne et due forme. Les bâtiments construits sans autorisation ne sont pas concernés.
D’emblée, les bâtiments sinistrés présentent quelques caractéristiques communes et essentielles. Ce sont des bâtiments encore en construction pour la plupart. Ce sont également des bâtiments dont la structure est faite de béton armé, ce sont enfin des bâtiments dont la structure est constituée d’au moins trois niveaux, c’est-à-dire R+2 au minimum. C’est donc en connaissance de cause que les municipalités exigent toujours, à partir d’un R+2, les notes de calcul de structure et le rapport d’études de sol dans les documents constitutifs du dossier de permis de construire !
Après avoir évoqué le non-respect des normes et l’utilisation des mauvais matériaux de construction comme causes probables, il y a lieu de mentionner pour compléter la liste de ces causes, l’absence d’études de sol fiables ou la mauvaise interprétation des études de sol. Sol destiné à supporter les fondations de l’édifice. Le développement qui suit s’intéresse de ces trois causes.
Causes probables liées à la qualité du sol de fondation
Le sol destiné à supporter les fondations d’un ouvrage, pour un bâtiment principalement, est caractérisé pour l’essentiel par sa portance, c’est-à-dire sa résistance à la pointe d’un équipement appelé pénétromètre utilisé lors du sondage d’investigation géotechnique de la parcelle de terrain devant recevoir la future construction. La connaissance de cette résistance, conformément à une classification internationale des missions géotechniques types, fait partie de la mission qui permet de connaitre les limites du sol pour ainsi envisager le type de fondation à adopter ainsi que sa profondeur.
Pour la crédibilité des résultats, il s’avère donc indispensable de mener des tests de fiabilité, en vue de la vérification de l’étalonnage ou de la calibration des équipements à utiliser avant toute campagne d’investigation. Les erreurs de mesure dues à l’état de l’équipement peuvent en effet conduire à un mauvais dimensionnement des fondations susceptibles de provoquer des catastrophes.
L’interprétation des résultats de sondage géotechnique peut aussi s’avérer fastidieux pour un professionnel non confirmé. En effet, les équipements utilisés proviennent de divers fabricants et les résultats peuvent être produits en différentes unités de mesure. L’absence de vigilance pendant l’analyse peut être préjudiciable à la sécurité de la construction envisagée et peut provoquer des affaissements localisés sous certains appuis qui vont par la suite engendrer le déséquilibre et enfin l’écroulement de l’édifice. Dans la profession, on parle de tassement différentiel.
En tout état de cause, il est déconseillé de fonder l’édifice sur des remblais non stabilisés et en amont d’une mitoyenneté sans observer le recul réglementaire.
Pour sécuriser l’édifice au niveau des fondations, une confrontation des résultats est indispensable. Au regard de l’importance des investissements en jeu, des essais et tests contradictoires établis par au moins deux Cabinets distincts sont vivement recommandés.
Causes probables liées aux matériaux de construction
La quasi-totalité des bâtiments effondrés au cours de ces dernières années est faite d’une structure dont les éléments porteurs du gros-œuvre sont faits en béton armé. Il y a lieu de préciser d’emblée qu’un bâtiment s’écroule en totalité ou en partie du fait de l’incapacité de ses éléments porteurs (sol, poteau, poutre, dalle) à supporter les charges qui leur sont appliquées, y compris leur propre poids.
A la différence des profilés métalliques fabriqués en usine selon les standards internationaux qui sont utilisés dans la construction métallique, le béton est produit sur le chantier par des personnes pas toujours expertes. Il est très fréquent d’observer que les personnels affectés à la fabrication du béton font partie des moins qualifiés du chantier. Or dans tout chantier important, la composition et fabrication du béton doivent obéir à des standards de résistance établie à l’avance et conformes aux indications des notes d’hypothèses de calcul contenues dans un dossier de permis de construire. Le suivi et le contrôle de la qualité du béton produit sont un gage à la conformité du béton par rapport aux indications de l’Ingénieur ayant effectué les calculs structuraux.
La fabrication du béton dans des conditions météorologiques questionnables est une autre réalité à faire observer. Un béton fabriqué à la main, au clair de la lune ou encore sous la lumière diffusée par les téléphones portables est à coup sûr un béton non homogène. Et donc de qualité discutable. Au moment de leur mise en œuvre, il est régulièrement arrivé d’observer une ségrégation granulaire entre différents constituants entrant dans la composition du béton : poches de sable, pâte de ciment et grains de gravier différemment localisés. Pour garantir la qualité du béton en cas des travaux de nuit, l’éclairage du chantier doit alors être systématique.
La qualité du ciment utilisé peut également être remise en question. Parfois avarié du fait d’un mauvais conditionnement, il est utilisé pour la fabrication du béton sans que les utilisateurs ne s’en rendent vraiment compte de son état d’abime. Le stockage du ciment doit se faire dans un lieu sec et non exposé à l’infiltration d’eau.
S’agissant des armatures, il existe divers nuances (types) d’aciers sur le marché des matériaux de construction. Les armatures livrées sur le chantier doivent être conformes aux prescriptions de l’Ingénieur. Avant tout ravitaillement du chantier, il est possible d’effectuer auprès des laboratoires, des tests de vérification des caractéristiques sur les échantillons disponibles du marché et les comparer aux indications des fiches techniques du produit.
A cet égard, comme cause probable due à la qualité des matériaux, il est plus judicieux de parler de ‘’non-conformité des matériaux utilisés’’ plutôt que ‘‘mauvais matériaux utilisés’’.
Causes probables dues au non-respect des normes.
Considérant que le permis de construire ait été au préalable obtenu auprès de la municipalité du lieu de construction, et donc que les documents d’exécution (notes de calcul et plans d’exécution) aient été approuvés par les services techniques compétents, l’inobservation des normes techniques en matière de construction, au niveau du gros-œuvre, se caractérise par :
- Le non-respect des dispositions dites constructives
Il s'agit ici du non-respect en ordonnée ou en abscisse de la position de quelques éléments entrant dans la structure de l’ouvrage, des longueurs de scellement et de recouvrement des aciers, de l'enrobage dont la faible valeur peut provoquer des éclatements prématurés du béton, du mauvais positionnement des aciers qui peuvent empêcher la dispersion du béton dans les coffrages. Une armature déplacée, même de quelques centimètres ne remplit plus correctement la fonction pour laquelle elle est destinée.
- Les surcharges sur des éléments de construction dont l’âge du béton est encore jeune
il est formellement proscrit de surcharger les planchers censés supporter des charges de service de 150 kg/m² avec des charges pas toujours prévus dans les hypothèses initiales de dimensionnement (tas de parpaings stockés sur les planches pouvant atteindre les 600 kg/m², tas de gravier stockés sur les dalles de béton encore immature). Il existe dans la réglementation des éléments sécuritaires à adopter dans les calculs des piliers du bâtiment au cas où l’ouvrage serait très rapidement chargé (avant 90 jours) qui ne sont pas toujours pris en compte. Hélas.
Pour terminer avec ces différentes causes probables citées, il est utile porte de définir ce que représente une note de calcul dans un dossier de construction. Il s’agit d’un document qui prescrit les caractéristiques des différents matériaux à utiliser, les chargements considérés, les calculs techniques relativement sophistiqués ainsi que les différents plans d’exécution de la structure de l’ouvrage. Ce document peut être assimilé à une longue ordonnance, chaque élément désigné étant suivi de l’équivalence d’une posologie (nomenclature), avec en prime les plans et autres détails d’exécution. Chaque propriétaire devrait absolument posséder une copie de ce document. Même si sa lecture s’avère fastidieuse pour un non-professionnel, il n’est pas imaginable d’entreprendre une construction sans note de calcul.
Au-delà de ces causes probables énoncées ci-avant, il existe des causes indirectes pouvant conduire à un sinistre. La principale d’entre elles étant l’absence de formation de continue chez les différents ouvriers qui écument au quotidien les chantiers. Si les Cadres d’entreprises, Ingénieurs et autres professionnels diplômés bénéficient des formations continues lors des Salons, de Séminaires et autres Conférences leur permettant d’améliorer et de mettre à jour leur savoir, ce n’est malheureusement pas le cas pour les artisans en bâtiment (maçons, coffreurs, carreleurs, etc.) qui n’ont pour seul poste de travail que le chantier et dont certains d’entre eux n’ont jamais suivi au collège, au lycée ou ailleurs, une leçon sur les techniques, normes ou matériaux de construction. Pourtant, ils sont très nombreux à se voir confier des chantiers importants du fait de leur seule pratique professionnelle, souvent dénuée des fondamentaux théoriques.
De ces derniers faits, pour la sécurité des personnes et des investissements, une grande réflexion est envisageable et même indispensable pour une réorganisation profonde des métiers de la construction dans notre pays. L’accès au métier pour les personnes sans formation, le partage des retours d’expérience à capitaliser, le contrôle technique des chantiers de propriété privée et la place dans profession des autres diplômés en génie civil de l’enseignement supérieur devant constituer les principaux piliers de ce grand chantier.